(Extrait
du Journal de Marche et des Opérations du 140ème R.I.)
«
Le 29 août 1914, vers 9 heures du matin, le régiment est attaqué par
cinq régiments appuyés par une puissante artillerie. Après trois heures
de luttes acharnées, il doit se replier, l'ennemi le serrant de près.
Saint-Michel, tête de pont sur la Meurthe, constitue une position
particulièrement importante, disputée âprement depuis deux jours; sous
la pression croissante de l'ennemi, nos troupes doivent évacuer cette
localité, mais notre commandement, afin de ralentir l'avance des
ennemis, décide de défendre le passage de la Meurthe. Pour couvrir la
retraite, la 2ème compagnie est chargée de défendre le pont de
Saint-Michel, et là se place un des faits d'armes les plus héroïques de
la campagne. La 3ème section de cette compagnie, commandée par
l'adjudant CLÉMENT, est chargée de cette mission glorieuse, certes,
mais combien difficile.

Vers 10 heures, nos arrière-gardes quittent les rives de la Meurthe et
la section CLÉMENT reste seule au contact de l'ennemi. Les premières
patrouilles allemandes qui se présentent sont facilement dispersées à
coups de fusil. Mais l'ennemi continue à affluer. Sur la gauche, sa
marche plus rapide le porte aux premières maisons de
Saint-Michel-sur-Meurthe et déjà des mitrailleuses tirent dans la
direction du pont, presque dans le dos des vaillants défenseurs.
L'ennemi en nombreuses colonnes dévale des collines situées au nord-est
du village sur la rive droite de la rivière et ses mitrailleuses
croisent leur feu avec celles du village. D'instant en instant, la
situation du petit groupe devient plus critique. Vers 13 heures, une
autre section de la 2ème compagnie lui est envoyée en renfort, mais
prise sous un terrible barrage de mitrailleuses et d'artillerie, elle
ne peut dépasser la voie ferrée. Un coureur est envoyé pour porter aux
héroïques exécutants de la consigne un ordre de repli. Celui-ci n'est
pas exécuté, le coureur n'a pas dû arriver. Un deuxième et un troisième
coureur, dont on n'aura plus de nouvelles, sont envoyés sans plus de
succès. Et les gardiens du pont continuent à tirer sans relâche sur les
assaillants, et parmi la rafale de balles et de shrapnells qui
s'abattent sur eux, quelques projectiles causent de temps à autre un
nouveau vide. Bientôt, suprême cruauté du destin, notre artillerie
vient mêler ses coups à ceux de l'artillerie ennemie, car elle tire sur
le pont pour opposer aux Allemands un suprême obstacle.
Le combat cesse vers 16 heures, mais presque tous les vaillants
défenseurs sont morts. L'adjudant CLÉMENT tombe un des derniers. Nos
troupes, regroupées sur les pentes de la Croix Idoux, peuvent le voir
se lever, son sabre dressé, et retomber presque aussitôt percé de
coups. Trois soldats seulement peuvent rejoindre la compagnie en
traversant des marais et en risquant cent fois leur vie.
L'un d'eux, le caporal FAURE, a reçu deux balles dans
la face. Dix jours plus tard, nos troupes, à la poursuite de l'ennemi,
repassaient le pont de Saint-Michel-sur-Meurthe et nos soldats
victorieux pouvaient, en défilant devant des tombes récemment fermées,
rendre les suprêmes honneurs aux braves qui, esclaves du devoir,
avaient si généreusement sacrifié leur vie. »